Pour mon premier billet au sein du magazine Femme Alpha, j’ai pensé vous partager une entrevue avec une copine de longue date (nous nous sommes rencontrées en Arabie Saoudite entre 1992 – 1994).  À cette époque, Jana suivait mes cours de natation au centre de récréation Alhwailiat pas loin de chez moi, Jubail.  J’ai vécu sporadiquement dans ce pays alors que mon paternel travaillait pour une compagnie de désalinisation d’eau de mer.  Ni mariée et ni fiancée, selon la loi du pays, j’étais sous la responsabilité de mon père.  Très avantageux quand on se retrouve dans un endroit qui est fermé au tourisme.

Jana a eu la gentillesse de répondre à mes questions par Tango (similaire à Skype).  Elle m’a rencontré virtuellement dans sa demeure après avoir passé une soirée à un festival qui a eu lieu à Bahreïn, un pays situé à côté de l’Arabie Saoudite et relié par un pont. 

Dévoilée, sans hijab, ni d’abbaya, sa longue chevelure sombre entourait son charmant visage.  Elle portait du linge d’été alors que j’étais emmitouflée dans de chauds vêtements.

Salut Jana !  Comment s’est passée ta soirée au festival ?

« C’était vraiment bien !  Je viens d’arriver ! Je suis prête pour notre entrevue. »

Vous avez la réputation d’être des femmes en captivité. As-tu fait face à ce genre de commentaires lors de tes voyages ?

« Oui ! Tellement de fois !  En fait, lors d’une conférence en Europe, des gens furent surpris d’apprendre que j’étais Saoudienne et médecin ! Je passe mon temps à expliquer que nous ne sommes pas prisonnières de notre culture.  C’est très fréquent. »

Ça doit sincèrement les surprendre.

« Surtout lorsque j’ai étudié outremer, dont au Canada.  Je suis allée deux ans à Montréal, et j’avais souvent des questions concernant mon style de vie dans mon pays. »

Justement, parle-nous de ton parcours.

« D’accord.  Je suis née à Safwa. Vers l’âge de 7 ans, mon père a obtenu un poste à la compagnie Aramco (Arabian American Oil Company) à Khobar.  Nous avons déménagé à Jubail et j’ai étudié tout mon primaire et secondaire ici même.  À mes 18 ans, j’ai été acceptée en médecine à l’université King Faysal à Riyad, j’y ai étudié six ans.  La 7e année, j’ai entamé ma spécialité pendant cinq ans dans un programme de résidence à l’Hôpital King Faysal à Riyad (OBUY).   Par la suite, j’ai peaufiné mon apprentissage avec un Fellowship[1] de deux ans en reproduction d’endocrinologie et d’infertilité à l’Université King Faysal, puis un autre deux ans en Fellowship à l’Université McGill à Montréal, au Canada.  Finalement, je suis revenue à Jubail et je travaille non seulement pour l’Hôpital Général Almana à Damman, mais aussi pour une clinique privée. »

Tu as trouvé ta passion, mais pourquoi la fertilité in vitro ?

« En fait, je suis tombée amoureuse de ce domaine. Tu sais, c’est la seule maladie qui rapproche deux personnes ensemble. Cela est très émotif, scientifique et social, mais quand je parviens à obtenir une grossesse, c’est tellement une joie de voir leur bonheur ! »

Quels sont les impacts pour la femme si elle ne tombe pas enceinte ?

« C’est une grosse pression sociale. Dans notre culture, les femmes sont perçues comme des mères. Elles se doivent d’avoir des enfants et elles prennent souvent ce rôle très au sérieux. Quand elles ne donnent pas d’enfants, les reproches sont courants. Pourtant, ce n’est simplement pas de leur faute ! Malheureusement, il y a un long chemin à faire avant de changer cette mentalité, mais tranquillement, ça se fait. »

Est-ce que l’homme vit autant de pression ?

« Oui, absolument.  Les époux s’investissent autant dans le processus.  Ils aiment leurs femmes et veulent leur bonheur.  Ils donnent de leur sperme et désirent sincèrement de bons résultats.  Les enfants, pour les hommes de notre culture, représentent la continuité de leur patrimoine, les héritiers de leur génétique et la virilité de leur image.  Le prolongement de soi, finalement. »

Mais si l’homme ne peut offrir de sperme, où le cultivez-vous ?

« Il n’y a pas de banque de sperme en Arabie Saoudite à cause de la religion. C’est dommage, mais il faut faire avec. Alors nous utilisons la science à son maximum, c’est pour cette raison que j’ai poussé mes études jusqu’à l’international. Ça m’a permis d’ouvrir mes horizons. »

Je n’en reviens pas que tu sois devenue la Chef de l’unité en fertilité in vitro de l’Hôpital Almana de Damman !  Je suis si fière de toi !

« Merci !  N’est-ce pas formidable ?!  Quand je rencontre des gens, ils ne me croient simplement pas, surtout lorsque je leur dis que j’ai 38 ans ! » 

Quels sont tes plans à long terme ?

« Eh bien, je veux ma clinique privée spécialisée en FIV !  Et je serais mon propre patron ! (rires) »

Tu peux avoir TA propre clinique en Arabie Saoudite ?!

« Oui, bien sûr.  J’ai mon Identité nationale saoudienne, ce qui me donne le droit d’acheter une maison, des logements, des terrains, une clinique.  Il y a des femmes qui sont des agentes immobilières, ici.  Des femmes d’affaires ont des commerces et gèrent leurs entreprises.  Mes deux meilleures amies sont médecins, une est Présidente du Conseil d’administration de l’Hôpital Universitaire de Khobar tout en étant Chef du département orthopédique.  Mon autre copine est Chef de l’unité FIV de l’Hôpital National de Riyad. »

Quel autre métier les femmes peuvent-elles pratiquer en Arabie Saoudite ?

« La majorité des professions excepté les professions militaires.  J’ai une sœur qui est superviseure des ressources humaines dans une manufacture.  Ma deuxième sœur est designer d’intérieur.  Tu sais, quand je suis revenue du Canada il y a 5 ans, il n’y avait pas beaucoup de caissières.  Maintenant, tu les retrouves partout !  Dans les centres d’achats, les supermarchés, les banques !  Ç’a tellement changé ! »

Wow ! Tellement différent des années où j’y étais !  Les femmes travaillent-elles voilées ou pas ?

« Ça dépend des femmes, la plupart porte le voile, mais sans cacher les yeux.  La jeune génération le porte moins souvent sur le visage.  Quelques-unes ne portent pas le hijab, ça, c’est plutôt rare, mais plus souvent qu’auparavant.  Aussi, elles sont plus instruites et veulent être financièrement indépendantes.  Elles ne veulent plus dépendre de personne pour vivre. »

Il n’y a pas de femmes militaires, mais est-ce qu’elles peuvent travailler comme policières ?

« Pas comme policière, mais elles peuvent devenir gardiennes de prison et à la douane, elles font la vérification des femmes. »

Est-ce que tu reçois beaucoup de commentaires du fait que tu es célibataire et sans enfant à 38 ans?

« Autant que les femmes célibataires au Canada ! (rires)   Ce n’est pas différent, Thérèse!  Quand je vivais à Montréal, mes amies célibataires québécoises se plaignaient d’être constamment questionnées sur leur célibat.  C’est pareil pour moi. »

Que réponds-tu aux questions ?

« Que je n’ai pas encore trouvé le bon gars.  Tout simplement.  J’aime ma vie, je vais où je veux.  Je participe à des congrès à travers le monde dans mon domaine.  Je rencontre des gens extraordinaires et cela me permet d’élargir ma vision.  En plus, je suis indépendante financièrement. »

As-tu les mêmes avantages salariaux qu’un collègue masculin en Arabie Saoudite ?

« Certainement ! Pourquoi serait-ce différent ?  Je fais le même travail, nous avons la même profession.  J’ai les mêmes avantages que mes acolytes. »

Une dernière question Jana.  Est-ce que tu trouves que l’Arabie Saoudite a beaucoup changé depuis mon départ en 1994 ?

« Depuis que tu es partie, énormément.  Il y a du changement qui se fait à petits pas, ça se fait graduellement, mais on le remarque.  Nous ne sommes pas comme les Occidentaux, nous sommes différents, car pour nous, les mœurs, les traditions sont très importantes.  La famille encore plus.  Si tu as remarqué, quand tu nous vois, nous sommes constamment de grosses familles rassemblées.  Nous aimons beaucoup être ensemble.  Nous nous influençons beaucoup, une grande part de la culture va se transformer dans le temps.  Mais oui, beaucoup de choses ont changé depuis ton départ. »

Merci, Jana, c’est toujours plaisant de se parler !  Continue de m’envoyer des photos d’AS !  C’est bon de revoir le paysage et les gens !  Bye !

« D’accord ! À bientôt ! »

(Cette entrevue s’est déroulée en anglais et a été traduite aux fins de l’article)

 

[1] Fellowship : Formation complémentaire

Ayant près de 20 ans d'expérience en Ressources humaines, Thérèse Thémélis vient vous partager son expertise afin de comprendre le marché du travail. Aussi, elle vous révélera plusieurs facettes de ses expériences de vie qui ont influencé ses choix. Propriétaire et Consultante en Gestion des Ressources Humaines chez TGT Conseil, survivante de cancer, mère biologique et adoptive, entrepreneure et voyageuse dans l’âme. Sa passion : l’écriture. 

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